La souveraineté et moi

Bien des souverainistes ont grandi entourés de militants. Les parents étaient passionnément impliqués dans la mouvance souverainiste, les assemblées de cuisine où on discutait de l’état du Québec et rêvait son avenir étaient légion et, très vite, ces personnes ont été sensibilisées aux enjeux qui font du Québec son unicité, sa fragilité et sa force.

Pas moi.

J’ai doucement forgé ma propre opinion, au fil des ans et des rencontres. Au secondaire, je me souviens avoir manifesté pour soutenir la loi 101, comprenant la nécessité de légiférer pour éviter un recul du français. Mobilisés, mes amis et moi avons fait quelques journées débrayages, au grand désarroi de la direction de l’école.

Mes premiers contacts avec la politique

La première fois que j’ai voté, c’était pour le référendum sur l’Accord de Charlottetown, en 1992. Mes amis et moi avons pris notre devoir de citoyen bien au sérieux. L’enjeu était important et cet exercice de la démocratie était nouveau et excitant pour nous. Avec un petit groupe d’amis, on a organisé des séances d’information au cégep, pour que notre cohorte soit bien renseignée sur les enjeux d’un Oui ou d’un Non. On a fait venir des représentants de chacun des camps pour qu’ils nous expliquent leurs points de vue et répondent à nos questions.

La seconde fois où j’ai voté, c’était aux élections fédérales de 1993, soit la première fois où le Bloc Québécois présentait des candidats à la grandeur du Québec. Le parti avait remporté le nombre historique de 54 sièges, devenant ainsi l’opposition officielle au Parlement. Je me suis toujours sentie, depuis, très interpellée par la question constitutionnelle. Je suis aussi demeurée résolument convaincue du fait que c’est par l’indépendance que le Québec pourrait le mieux assurer son avenir.

À l’université, alors que j’étudiais au baccalauréat en communications, avec un profil en journalisme, j’ai eu le privilège d’avoir des professeurs extraordinaires, qui savaient nous stimuler dans nos réflexions et dont plusieurs ont aussi été des figures marquantes du mouvement souverainiste. Jacques Larue-Langlois, journaliste et militant indépendantiste, m’a appris les rudiments du journalisme radio. Jean-Pierre Masse, qui a initié et immortalisé la nuit de la poésie, avec Jean-Claude Labrecque, en mars 1970, m’a appris le tournage et le montage vidéo. Pierre Bourgault, parmi les légendes alors vivantes du mouvement souverainiste, m’a fait connaître l’émergence du souverainisme au Québec. J’aimais ses cours, toujours vibrants, enlevants, je les appelais mes cours bonbons. J’essayais d’en avoir un par session, parmi les quatre auxquels j’avais accès. Au moment de m’inscrire au 4e et dernier cours, le seul que je n’avais pas encore fait, je le croise dans un couloir du pavillon Judith-Jasmin.

« Marie-Eve-Lyne, me dit-il en m’interpellant, quel cours optionnel prendras-tu cette session ?

– Le cours d’expression orale que vous donnez, que je lui réponds.
– Ha, ça, non ! s’insurge-t-il. Et, mordant bien dans les mots, comme il sait le faire avec tant d’efficacité, il poursuit : Je t’interrrrdis de t’inscrire à ce cours ! Tu n’as rrrrrien à faire dans cette classe, va suivre un cours où tu apprendras quelque chose !»

Je me suis alors inscrite au cours Problèmes politiques contemporains, donné conjointement par Thierry Hentsch et André Bernard, qui portait notamment sur les relations complexes entre le Canada et le Québec. Je me souviens d’André Bernard, qui me tend ma copie d’examen : « 92%, me dit-il, pas mal venant d’un prof qui ne donne jamais une note au-dessus de 85. » Bref, Bourgault, sans le savoir (mais le savait-il, en fait ?) avait semé une graine. Une de plus.

Crédit photo : Maxime Girard Tremblay, Photographe